• un secteur bancaire privatisé n'est pas tolérable

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    Taisez-vous, libéraux cyniques ou imbéciles !

    Frédéric Lordon : "un secteur bancaire privatisé n’est pas tolérable"

    Seul un soulèvement populaire mettra fin à la prise en otage de la collectivité par la finance

    mercredi 12 mai 2010, par Olivier Bonnet


    flDans sa très touffue dernière livraison intitulée Sauver les banques jusqu’à quand ?, l’économiste Frédéric Lordon commence à faire un sort à l’idée que l’Union européenne s’appliquerait à sauver la Grèce : "aucun État n’est jamais mort de faire défaut sur sa dette pour la simple et bonne raison que l’expression « faire faillite » n’a rigoureusement aucun sens à propos d’une entité politique souveraine – et ceci à la différence des banques privées en 2008 qui, n’eussent-elles été sauvées, étaient, elles, promises au trépas. En bonne logique si l’État ne meurt pas de défaut, ce n’est pas l’État qu’on sauve. Alors qui ? Ses créditeurs, bien sûr." Qui sont-ils ? Réponse de Lordon : "Sur la période 2005-2010, la dette publique grecque a été souscrite à 43% par des banques, 22% des fonds mutuels, 15% des fonds de pension, 8% des gérants (asset managers) et 4% des hedge funds. Voilà la population des nécessiteux auxquels il est urgent que les fonds publics du secours européens viennent en aide." Il donne un exemple concret et bien français des véritables bénéficiaires du plan de sauvetage : "Baudoin Prot, président de BNP-Paribas a commencé par promettre qu’il n’avait quasiment pas d’exposition aux risques souverains grecs. Avant d’avouer un milliard d’euros. Puis cinq. Auxquels il faut rajouter trois de créances commerciales. Et ceci dit en oubliant opportunément qu’il est aussi l’heureux propriétaire de Fortis qui est la banque européenne recordwoman de la détention de titres publics grecs (à hauteur de 60% de son actif net)".

    Banques, fonds de pension, hedge fonds... pourquoi faut-il voler à leur secours ? C’est ce qu’explique ensuite notre "éconoclaste" : "à rappeler la sympathie spontanée qu’attirent tous ces braves gens, la question vient immanquablement à l’esprit de savoir pourquoi finalement on ne les laisserait pas choir. C’est une question qui vaut mieux qu’un mouvement d’humeur – dont on voit tout de suite la réponse qu’il apportera, non sans légitimité d’ailleurs. Car, ainsi que l’épisode de l’automne 2008 l’a déjà prouvé, la finance a objectivement les moyens de nous forcer à son aide. Il importe alors de mesurer dans quelle mesurepuis de se demander s’il n’y aurait pas quelques conclusions politiques à tirer de cette situation de forçage – qui n’a rien d’imaginaire. (...) En économie capitaliste, l’intérêt matériel commun passe effectivement par cet isolat qu’on appelle le secteur bancaire. Il en est ainsi car les agents économiques du secteur productif ont un besoin vital de maintenir leur accès au crédit pour financer le cycle de production, et bien sûr au delà pour investir. Une atteinte non pas de telle ou telle banque locale mais du secteur dans son ensemble a dans le pire des cas – le meltdown – l’effet de mettre en panne presque instantanément l’économie entière, et dans le moins grave – des pertes importantes sans effondrement d’ensemble – celui de ralentir brutalement la croissance par constriction du crédit (après avoir ramassé une dégelée, les banques ne veulent plus prêter et ne songent plus qu’à restructurer leur bilan). On sait depuis 2008 que laisser aller le système bancaire au tapis n’est pas une possibilité. Lui faire encaisser des pertes demeure envisageable mais, il faut en être conscient, au prix d’un contrecoup qui viendra rapidement ternir notre joie de voir enfin les banquiers déguster. Mais alors, demandera-t-on à ce moment précis, «  nous sommes entièrement dans leurs pattes ?  » La réponse est oui. exactement,

    Le moment de grosse colère qui suit de cette aperception est pourtant dépassable, il peut même être de courte durée. Car l’identification de cette connexion objective porte elle-même sa conséquence politique : la situation de dépendance de l’intérêt commun à un intérêt particulier si précisément localisé et si concentré a pour véritable nom capture, et par suite ne peut être toléré. Ce qui touche à l’intérêt commun concerne le commun et ne saurait être en aucun cas abandonné à des intérêts privés – qui, prévisiblement, réduiront la communauté aux dernières extrémités de la dépendance : «  sauvez moi ou je vous fais mourir, ne me touchez pas ou je vous blesse gravement, qu’il ne m’arrive rien ou vous en pâtirez », le pire étant qu’à chaque fois ces menaces sont vraies  ! Il n’y a pas lieu de se désespérer de cette « vérité », il suffit d’en tirer les conclusions logiques : s’il apparaît que du fait des propriétés très spéciales du crédit en économie de marché capitaliste le secteur bancaire est le détenteur de fait des intérêts matériels supérieurs de la communauté, et qu’il dispose des moyens objectifs de forcer la communauté à lui accorder tout ce qu’il demande, alors il doit être rendu à la communauté.

    Une autre formulation de ce principe est : un secteur bancaire privatisé n’est pas tolérable. À mettre bout à bout le nombre des concessions que la finance bancaire aura fait avaler aux corps sociaux depuis trois ans, c’est une idée qui aurait tout pour faire son chemin. Il faut croire que ça n’est pas encore suffisant à en juger par le méga-plan de sauvetage européen du 9 mai qui ne change rien aux structures déterminant le rapport des pouvoirs (dits) souverains et de la finance, et finalement accorde à cette dernière absolument tout de ce qu’elle demande : d’un côté les plans de rigueur pour les populations, de l’autre les garanties pour elle ! Il est vrai que la joie de la finance découvrant le 10 au matin, au gros paquet de 750 milliards d’euros, que Noël est en mai est touchante. Quoique un peu mêlée de quelques envies de cogne si l’on se met à penser que les retraites en France vont gaillardement vers leur démantèlement pour une impasse de 30 milliards à l’horizon de vingt ans. Pour le coup l’interprétation des marchés est la bonne, en tout cas à court terme : toutes les valeurs bancaires sont à la hausse, c’est si bon de se savoir aimées. Si – mais on se demande bien par quel miracle – une secousse politique de grande ampleur venait à se produire, une secousse dont il est de plus en plus évident que les gouvernements ne seront pas l’origine, et qu’une nouvelle donne apparaisse à l’horizon, alors il faudrait y inclure formellement le principe de prohibition de la capture des biens communs – comme la stabilité et la sécurité financière lato sensu – par des intérêts privés, et en tirer la conclusion opérationnelle qui s’en suit logiquement : nationalisation puis socialisation du système bancaire."

    Il n’est plus acceptable - si toutefois ce l’eût jamais été - que toute l’activité de la collectivité humaine soit ainsi prise en otage et forcée de pourvoir aux intérêts du secteur financier privé, au détriment des besoins les plus élémentaires des populations. Lordon a raison : ne comptons pas sur nos gouvernants pour y changer quoi que ce soit. A moins que le Front de gauche n’accède au pouvoir, hypothèse plaisante autant qu’invraisemblable. Conclusion : insurrection populaire ! Voilà pourquoi il faut que ça explose, et que ça va exploser. La seule question qui demeure est "quand ?" Le jour où trop de gens subiront une condition insupportable. Aujourd’hui, la somme des égoïsmes individuels (les crédits à rembourser, les études des enfants à payer...) rend impossible l’émergence de ce soulèvement collectif que nous appellons de nos voeux, non par goût pour la violence, mais parce que c’est la seule alternative que nous laisse le système. Mais le jour est sans doute plus proche qu’on ne le croit où suffisamment de désespérés n’auront plus rien à perdre.


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