• "Je n'oublierai jamais la détrese de cette famille"

    Démolition de maisons en Cisjordanie


    reçu de Maritza


    vendredi 22 décembre 2006.



    Par Jane Smith




    Al Funduq - Les machines à briser des vies, 22 nov 2006
    En arrivant dans le village d'Al Funduq, dans le centre de la
    Cisjordanie, les effets produits par la destruction de la première
    maison étaient visibles. Une famille se tenait sur un amas de gravats,
    muette et hébétée.










    La démolition de la deuxième maison commençait juste et les bulldozers
    Caterpillar et Volvo s'enfonçaient dans les murs du 1° étage de la
    maison presque terminée. A notre approche, quatre Palestiniens ont
    franchi en courant la rangée de soldats israéliens pour entrer dans la
    maison. Leur courage m'a profondément émue. Les soldats ont fait sortir
    les hommes de la maison manu militari, en tenant l'un d'eux fermement
    par une prise à la nuque et en passant à deux autres les menottes
    qu'ils ont gardées pendant tout le temps qu'a duré la démolition. En
    l'espace d'une heure, la maison n'était plus qu'un amas de gravats. La
    famille n'avait pu rien faire, si ce n'est regarder leurs années de
    travail et d'économies anéanties par l'armée israélienne. Caterpillar
    and Volvo tirent des bénéfices de la douleur de cette famille.

    Les bulldozers ont fait demi-tour et sont repartis en
    direction du village. Entretemps, nous avions été rejoints par 5 autres
    « internationaux ». Nous sommes partis devant pour parvenir sur les
    lieux avant l'arrivée des bulls. L'armée israélienne, évidemment,
    cernait déjà le bâtiment. C'était une grosse bâtisse agricole qui
    renfermait du bétail. De toute évidence, de l'argent y avait été
    investi et nul doute que beaucoup de personnes dépendaient de ce revenu
    pour se nourrir. Pendant qu'ils démolissaient un bout du bâtiment,
    j'aidais la famille à récupérer quelques affaires à la va-vite.




    Sans faire de pause, les bulls et l'armée sont repartis pour le quatrième site à démolir, dans le village voisin d'Hajja.




    Les membres de la nouvelle famille étaient en
    effervescence. Ils avaient la volonté de résister. Ils étaient au
    sommet de la colline et criaient leur colère à l'armée israélienne. Ils
    agitaient les bras frénétiquement et criaient aux voisins de venir les
    rejoindre pour les aider à résister.




    Nous avons traversé le champ en courant et avons gravi
    la colline rocailleuse et pleine de buissons épineux pour les aider à
    lutter pour conserver leur moyen de subsistance. Quand les gens se sont
    approchés, l'armée a commencé à lancer des « sound bombs ». Cela n'a
    pas arrêté notre élan et nous avons rejoint la famille réfugiée contre
    le mur et la barrière de leur immense structure agricole. Ils avaient
    des papiers en dépôt chez leur avocat qui, espéraient-ils, empêcherait
    la démolition. Pas étonnant qu'ils aient eu cette vitalité. Ils avaient
    une chance infime d'empêcher ce forfait. Ils avaient besoin de temps.




    Et le temps, c'est justement ce qu'on n'a pas quand on
    vit sous occupation militaire. Ils tentaient fébrilement d'appeler leur
    avocat. Nous téléphonions fénétiquement partout, cherchant à joindre
    quelqu'un qui nous permettrait de gagner du temps. Il y avait un
    sentiment d'inexorabilité dans cette démolition, les soldats avaient
    déjà investi les lieux, et les membres de la famille repliés contre le
    mur de la bâtisse ont obtenu l' « autorisation » d'évacuer quelques
    animaux. Pour qu'il ne soit pas dit que l'armée israélienne est
    inhumaine. Même si, comme la hiérarchie établie entre les êtres humains
    dans cette partie du monde, certains « méritent » d'être sauvés et
    d'autres non.




    Et ce qui devait arriver arriva. L'armée a refusé
    d'attendre que les documents officiels arrivent et la démolition a
    commencé. Il a fallu deux heures pour détruire entièrement cette
    bâtisse de plusieurs étages.




    Pendant la démolition, un groupe d'environ 10 soldats a
    traversé le champ où j'étais. Ils ont lancé une sound bomb et tiré au
    moins une balle en caoutchouc sur un groupe de jeunes garçons d'environ
    12 ans qui passaient par là. Les garçons n'étaient pas du tout
    provocants. Au cours de cette journée, j'ai oublié le nombre de fois où
    j'ai crié : « Arrêtez, ne tirez pas ! ».




    La démolition de la dernière maison a été de loin la
    plus éprouvante. La famille a subi un terrible choc. Les soldats ont
    tenté d'empêcher les internationaux de passer, en pointant leurs armes
    sur nous.




    On ne savait pas bien laquelle des deux maisons était
    visée par les bulldozers. Devant la première maison, il y avait
    plusieurs femmes pétrifiées qui rassemblaient autour d'elles leurs
    jeunes enfants. Je songeais à ma soeur et à ma jolie nièce. Pendant le
    court instant propice, nous nous sommes engouffrées dans la maison avec
    les femmes et les enfants, nous y enfermant à clé. Et c'est alors que
    nous avons réalisé ce qui se passait dans la maison voisine. Les
    membres de la famille s'étaient installés sur le toit, manifestant
    bruyamment leur chagrin. Quatre « internationales » sont restés auprès
    des femmes et trois d'entre nous, en évitant les soldats, avons rejoint
    la famille sur le toit de leur maison à demi construite.











    Je n'oublierai jamais la détresse de cette famille. Sur
    le toit, quand je suis arrivée, régnait la confusion la plus totale. Je
    n'avais aucune idée de ce qui se passait. Un jeune homme était allongé
    par terre, immobile, les membres de la famille essayant de le faire
    revenir à lui. De temps en temps, il était pris de convulsions, hurlant
    de douleur. Un autre homme affalé sur le sol se tordait frénétiquement.
    Il fallait sans cesse le tenir éloigné du bord du toit ouvert. J'étais
    pratiquement certaine qu'il s'agissait de troubles émotionnels, mais
    inconsciemment me revenaient en mémoire les histoires qu'on m'avait
    racontées sur l'armée israélienne et sur ces gaz inconnus qu'elle avait
    utilisés et qui avaient affaibli les victimes pendant une semaine. J'ai
    entendu une explosion, puis un troisième homme s'est mis à hurler en se
    tenant la jambe. J'ai pensé qu'on lui avait tiré dessus. C'est la
    première fois que j'ai véritablement senti que j'avais peur. Peut-être
    une balle l'avait-elle frôlé mais heureusement, il n'était pas touché.
    Une vieille femme s'est effondrée. Tout le monde gémissait ou hurlait
    en invoquant Allah. Le divin s'est matérialisé sous la forme de
    secouristes. Les secouristes sont les saints de ce bas monde.
    Heureusement, l'armée n'a pas tenté de les empêcher d'entrer dans la
    maison.




    La situation s'est calmée légèrement pendant un bref
    instant. Puis les 30 soldats qui étaient déployés autour de la maison,
    se sont rassemblés. Ils allaient, de toute évidence, entrer en action.
    Ce qui n'était pas évident, c'est ce qu'ils allaient faire.




    Ils sont entrés en masse dans la maison. Ils ont grimpé
    la structure en béton où l'escalier devait être posé dans cette maison
    encore en construction. Me bousculant au passage, ils ont fait
    redescendre les Palestiniens en les attrapant et en les poussant.
    Quatre personnes étaient toujours soignées par les ambulanciers. Ils
    les ont soulevées du sol et les ont traînées à l'extérieur.




    Une fois que tout le monde était dehors, l'armée
    israélienne s'est mise à lancer des « sound bombs » et à tirer des
    balles en caoutchouc. Les bombes explosaient tout autour de l'ambulance
    et un homme a été touché par une balle en caoutchouc à un mètre ou deux
    de l'ambulance.




    Certains étaient frappés par les soldats. Qui faisaient
    tomber les gens par terre. Qui nous hurlaient leur haine au visage, la
    salive de l'un d'eux atteignant le mien.




    Au cours de la démolition, les soldats se sont mis à
    tirer des balles en caoutchouc sur un groupe essentiellement composé de
    femmes et d'enfants, qui devant leur maison, regardaient la scène.




    Il s'est passé tellement d'atrocités ce jour-là. Mais
    c'est cette fusillade arbitraire qui m'a mise en fureur. Un des soldats
    avait son arme pointée sur les femmes. Je lui ai crié d'arrêter le plus
    fort qu'il m'était alors possible, mais très clairement. Il m'a
    regardée. Nos regards se sont croisés pendant un moment qui m'a semblé
    une éternité. Il n'a pas tiré. Je suis parfaitement consciente que la
    seule raison pour laquelle je peux parvenir à ce résultat, c'est à
    cause d'un racisme inhérent et profondément, très profondément ancré.
    Heureusement il y a encore des situations où le privilège d'être
    international fonctionne.




    Trois personnes ont été emmenées à l'hôpital de
    Qalqiliya, sept dans des cliniques des environs pour être soignées pour
    les blessures occasionnées par les balles en caoutchouc et pour
    commotion.




    Un jeune homme sanglotait, assis sur une pile de
    gravats qui figuraient l'avenir de sa famille. La raison de tout cela ?
    Une Occupation brutale, raciste et illégale.




    Et si vous voulez entendre les raisons invoquées par
    l'armée israélienne, c'est que les Palestiniens ont osé construire sur
    leur propre terre, dans leur propre village sans l'autorisation
    d'Israël.




    Quant au fait qu'il est pratiquement impossible d'obtenir des permis de construire, c'est une autre histoire.











    Jane Smith travaille actuellement pour l' « International Women's Peace Service » en Cisjordanie. IWPS est une association de solidarité qui rend compte et intervient dans les violations des droits humains.




    Article imprimé à partir du site de la campagne civile Internationale pour la protection du peuple palestinien


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